mardi 19 avril 2011

Illustrations, bandes dessinées, François Mossmann


BANDES DESSINÉES 
Histoires complètes, à suivre : « 34-NC240 ? » ( 1973-1974 ),
« Alaca Höyük ou les originaux pèsent plus lourd que les faux » ( 1974-1975 ),
« Goto 10 » ( 1986-1987 )
Série sur plusieurs années : « Les Copains de la Coopé » ( 1975 - 1989 )
avec Amis-Coop, le magazine des jeunes coopérateurs ( OCCE )

DESSINS DE PRESSE
Expositions parrainées par le Canard enchaîné ( Alain Grandremy )
Premio satira politica, Forte dei Marmi
Saint-Just-le-Martel

 ROMAN ILLUSTRÉ POUR JEUNE PUBLIC
« Dedraki, le mystère des bonsaï grecs » - Texte et illustrations –
et sa version en allemand « Dedraki, das Geheimnis der griechischen Bonsaï »
Éditions Euro-Régions Éditions, Strasbourg, Baden-Baden ( 1997 )

ILLUSTRATIONS DIVERSES
Affiches
Couvertures de livres
Livret du CD « Les gens importants » de Guilam, auteur compositeur

Extrait d'une nouvelle de François Mossmann, Saint-Pargoire, Montpellier


            Pour accéder au balcon du second étage, Claire, silhouette mince et souple, n’hésite pas à escalader la façade de l’immeuble en se maintenant aux tubulures extérieures, à ses risques et périls. Derrière elle, le roulement régulier des vagues et les rires rassurants de ses amis qui prennent un bain de minuit à une centaine de mètres à peine accompagnent ce qu’elle ressent déjà comme un exploit.  
            Arrivée devant la baie vitrée restée entrouverte, elle écarte prudemment le rideau jaune pâle qui pend accroché à des pinces en forme de soleils noirs.
            Elle connaît bien cet appartement de Frontignan-Plage. Ses parents l'ont prêté deux semaines à des amis pendant leur séjour à Paris. Elle a préféré rester aux Aresquiers chez sa tante.
            La pièce unique est plongée dans une demi-obscurité qui laisse entrevoir, grâce à la lueur orangée de l'éclairage extérieur, les meubles tout simples en bois blanc, les étagères remplies et les cadres aux murs. Dans ce décor familier, seules la table et les chaises ont été déplacées.
            La jeune fille sent bien, tandis qu'elle avance sur la pointe des pieds, qu'elle n'a rien à faire ici, mais il lui paraît indispensable de récupérer ce dont elle a absolument besoin.
            Alors qu'elle contourne la cloison qui partage l'espace et qui mène à la salle d'eau, elle aperçoit, juste en face du minuscule coin dévolu à la cuisine, brillant dans la pénombre, le témoin de la cafetière électrique. Tout le monde sait, dans la famille, que celle-ci ne s'arrête pas seule et qu'il faut toujours penser à l'éteindre après usage. Comme un réflexe, elle appuie sur le bouton.
            Au même instant, elle perçoit un léger bruit dans l'autre partie de la pièce. D'abord une voix d'homme :
            – Qu'est-ce qu'il y a ?
            – Rien... Je n'arrive pas à dormir. Je vais lire un peu.
            – Tu devrais prendre des somnifères comme moi.
            Jusque-là, Claire était persuadée que les occupants de l'appartement étaient à Sète pour assister aux joutes et qu'ils ne rentreraient que très tard après la grande fête sur la place centrale !
            Elle reste figée entre l'évier et les étagères à provisions. Impossible de bouger. Elle devine, tellement près, les pages qu'on feuillète, les jambes qui, par intervalles, changent de place sous le drap. Quand la femme qui lit étendue ressentirait-elle enfin les premiers picotements aux yeux et combien de temps faudrait-il pour qu'elle s'endorme enfin ? Son mari, lui, s'est mis à ronfler comme un bienheureux.
            Soudain, Claire reconnaît parfaitement le son mat des pieds qui se posent ensemble sur le carrelage, puis les pas nus qui effleurent doucement le sol.
            Elle voit l'ombre de la femme se déplacer sur le mur et sur la porte d'entrée, juste à côté d'elle. Claire reconnaît sans peine le claquement léger des doigts sur le clavier d'un téléphone mobile. Et, d'une voix murmurée :
            « C'est moi... Il dort... On peut se voir ?... Oui, maintenant... On se retrouve sur la plage ? »
            Claire retient son souffle, attentive à chaque bruissement, observant la silhouette qui se meut maintenant sur le carrelage blanc. Elle imagine une seconde qu'elle-même est à l'affût et que sa proie, c’est l'autre.
            L'autre retourne vers la terrasse. Claire en profite pour se réfugier, seul endroit qui lui paraît possible, dans la salle de bains ; elle enjambe la marche et se retrouve dans la douche, pour la première fois de sa vie avec des chaussures aux pieds. Elle tire avec précaution le rideau qui, comme toujours, coulisse mal.
            Quelques secondes plus tard, la lumière s'allume au-dessus du lavabo. Par le seul minuscule espace laissé entre la cloison et la toile écrue, Claire observe, de dos, une femme d'une quarantaine d'années qui se maquille les yeux, tendant vers son propre reflet un visage légèrement incliné en arrière, les cils acceptant à tour de rôle d'être soulevés, brossés, noircis, tandis que le regard se fait d'abord critique puis rassuré.
            Cette phase de préparation laisse augurer qu'elle ne prendra pas de douche. Pourtant, lorsque Claire voit que l'occupante des lieux se dévêt entièrement, elle a l'immédiate sensation d'être prise au piège. Par bonheur pour elle, l'autre, après avoir enfilé prestement une petite robe noire, rectifie avec des gestes amples sa chevelure aux superbes reflets roux, couleur faussement naturelle, mais tellement prometteuse, qu'on voit communément sur les emballages des cosmétiques destinés à faire croire que celle qui cherche à masquer quelques cheveux blancs envahissants, dure réalité hélas récurrente !, va ressembler, au moins pour un temps, à la sublime créature qui pose sans teinture sur le carton glacé de la boîte.
            Enfin, la lumière s'éteint, plongeant Claire dans l'obscurité. La porte principale s'ouvre et se referme presque aussitôt.
            La jeune femme quitte sa cachette. Alors qu'elle s'apprête à franchir la porte de la salle d'eau, l'homme, qui ne semble pas si endormi que cela, dit d’une voix distincte :
            « Chérie, c'est moi... Ma femme vient de sortir... Oui, moi aussi... Je te rejoins au même endroit que d'habitude... J'arrive ! »
            Claire, abasourdie, retourne dans sa douche, en souhaitant qu'à défaut de se maquiller les yeux, le mari s'épargnera une toilette trop approfondie.

Extraits du roman "Dans son regard, l'horizon vacillant du large", François Mossmann, Saint-Pargoire, Montpellier


            Lorsque cela avait été son tour, elle avait, en s’efforçant d’être naturelle, déposé son sac à main dans le bac en plastique bleu, franchi posément chacun des obstacles, croisant volontairement aucun regard. Ses affaires récupérées, elle s’était dirigée vers un siège libre entre deux femmes.
            Le vol pour la France était prévu dans deux heures qui lui paraîtraient longues. Pour tuer le temps, elle s’était levée lentement et dirigée vers la boutique de presse et de souvenirs. Sur les présentoirs, bien en vue, le seul quotidien local étalait en gros titres les exploits du gouvernement. Deux revues, une en allemand et l’autre en anglais, se concentraient exclusivement sur les mésaventures amoureuses de quelques stars en appâtant par des caractères énormes et des images légèrement floues le passager étranger désœuvré.
            Derrière le comptoir déserté quelques minutes par le marchand qui s’appliquait à disposer en vitrine des bijoux bon marché, elle avait remarqué par terre un tas encore ficelé de journaux étrangers ; ils dataient pourtant de l’avant-veille. En en lisant rapidement les titres principaux, elle s’était aperçue qu’on y parlait du pays qu’elle s’apprêtait à quitter et qu’un article évoquait la résistance déterminée bien que naissante d’une partie de la population. La jeune femme s’était approchée de l’homme qui refermait à présent la vitrine à clé et lui avait demandé si les journaux posés au sol étaient encore disponibles. Il l’avait regardée en fronçant les sourcils et en haussant les épaules : « Interdits à la vente ! ».

....
             Aussi est-ce avec un certain soulagement que je me dirige maintenant vers le grand escalier que j’emprunte d’une démarche assurée, ni trop vite, ni trop lentement, faisant rouler sous ma jupe un peu moulante, ce dont la nature m’avait dotée avec une certaine générosité, histoire d’imposer pendant quelques mètres à ceux qui ne manqueraient pas de me suivre du regard avec un peu trop de zèle une attention limitée qui s’atténuerait avec l’éloignement, me donnant tout loisir de rejoindre ensuite les occupants de la voiture grise.
            La portière arrière s’entrebâille, je grimpe dans le véhicule, une forte odeur de cigarette me fait tousser, je jette un coup d’œil circulaire, sièges et tissu qui tapisse les contre-portes d’un beige sale, trois hommes qui me regardent comme si je tombais du ciel, d’abord un grand silence, puis, celui qui est assis à côté du chauffeur laisse échapper sans fioritures qu’ils m’amènent rencontrer Harmam.
            Puis, plus un mot, tandis que la vieille Mercedes, bien que malmenée sur cette route cahoteuse qui monte, fait l’impossible pour justifier sa réputation de solidité. Les vitesses passent en craquant, pas toujours du premier coup. Dans l’habitacle, un mélange de fumée de tabac et de poussière qui s’entremêle en tourbillonnant et hésite à entrer ou à sortir par les fenêtres grandes ouvertes.
            Au gré des virages, j’aperçois tantôt au loin, derrière la petite ville d’Amishan, les dunes qui se dressent à perte de vue et juste après le paysage vers lequel nous roulons, parsemé d’oliviers, d’herbes jaunies et de murets en pierre sèche.
            Un dernier tournant un peu plus raide que les autres et, au bout du chemin une maison en ruine. La vieille Mercedes hoquète et s’immobilise. J’imagine que nous sommes arrivés à destination. En effet, nous quittons le véhicule, mais pour continuer à pied pendant au moins un kilomètre sur un chemin que n’apprécient pas mes chaussures à talon. Concentrée pour à la fois éviter le plus de cailloux possible et marcher à la même vitesse que les trois hommes, je lève parfois la tête pour tourner mon regard vers le panorama grandiose qui me rappelle mon enfance.
            Adossée à un énorme rocher, une cabane en piteux état derrière une étroite grille entrouverte ; sur l’injonction d’un des hommes, je la franchis en évitant les fils barbelés qui traînent sur le sol. De part et d’autre, les vestiges de constructions en bois, peut-être d’anciennes cages à poules ou des clapiers hors d’usage, portes ouvertes ou sorties de leurs gonds, quelques planches en mauvais état, des petites branches sèches disséminées un peu partout et une échelle posée debout à côté de ce qui ressemble à l’entrée des lieux.
            Après un coup de fil rapide, « Elle est ici ! », mes trois accompagnateurs me laissent plantée là et s’éloignent pour allumer une cigarette.

Extrait du roman "Dans son regard, l'horizon vacillant du large", François Mossmann, Saint-Pargoire, Montpellier


         Je vérifie la date sur ma montre. Et curieusement, dans cette situation qui n’inspire pas spécialement l’élégance et la politesse aimable, il me vient à l’esprit que c’est en ce moment, vu le décalage horaire, que Marie joue en soliste au Théâtre de Béziers un concerto de Mozart.
          
 
          En effet, exactement à cet instant, Marie, dans sa loge, une loge comme autrefois avec de grosses ampoules encadrant une grande glace, se prépare, enfile prestement sa robe, une robe longue rouge garnie de volants sur le devant, très près du corps, en remonte avec des gestes précis la fermeture Eclair dans le dos, tire et lisse ses cheveux noirs et brillants en arrière, formant une longue queue de cheval, se regarde rapidement dans le miroir, et, d’un geste typiquement féminin, se pulvérise un peu de parfum sous chaque oreille, juste dans le creux du cou à la lisière des cheveux, avant de contrôler une dernière fois que tout va bien, se saisit de sa flûte traversière qu’elle a « chauffée » peu de temps avant et sort rapidement, rejoignant les coulisses.
          L’orchestre est en place. Marie rompt le silence de la salle en franchissant les plis épais du rideau de scène, éblouissante de jeunesse et de grâce, laissant échapper un petit soupir d’admiration au public des premiers rangs. Ensuite, c’est, avec cette manière très particulière qu’a la jeune femme de jouer, de beauté, d’élégance et de talent mêlés, la magie du « Concerto pour Flûte et Harpe en ut majeur K299 » de Mozart.


          Je n’entends déjà plus le bruit des vagues derrière moi. J’essaie de ne penser à rien et à me concentrer sur les quelques mètres que j’aperçois devant mes pieds. Pourtant, se bousculent dans ma tête la vision du cadavre de mon accompagnateur avec ses plaies horribles, celle du visage fatigué et meurtri de Simon, son regard angoissé, celle aussi des yeux très sombres de Marie. En même temps je revois mes collègues du journal, collègues depuis si peu de temps, me confiant cette mission sans imaginer une seconde, en tout cas je l’espère, la situation dans laquelle je me trouve « grâce à eux ».
          Je marche, marche, le sentier monte, descend, tourne, disparaît parfois, recouvert d’une végétation qui a pris le dessus, je traîne alors les pieds, faisant du bruit sur les cailloux, histoire de prévenir et d’effrayer un éventuel serpent venimeux qui aurait eu la malencontreuse idée de s’endormir justement sur mon trajet.
          D’abord, pour me rassurer et me sentir moins seule, je commence à réciter à haute voix le début du monologue d’Hamlet en anglais, mais je me heurte assez vite à un défaut de mémoire ; cela m’occupe pendant au moins deux kilomètres, parce que, chaque fois, je reprends du début en espérant me rappeler la suite. Après, je me mets à chanter, pour garder la cadence « Ce soir, j’ai rendez-vous avec Madeleine… » mais, là aussi, je me rends compte que je ne connais pas toutes les paroles. Je hurle presque « Elle est tellement jolie, elle est tellement tout ça, elle est toute ma vie… » sans penser une seconde qu’on pourrait m’entendre.
          Je m’habitue à la solitude dans cet espace inconnu, à mes propres peurs, j’avance, voilà !, c’est tout, j’avance.


Après le concerto de Mozart, Marie est allée se changer. Elle a quitté sa longue robe rouge de soliste pour s’habiller de noir, comme tous les autres musiciens de l’orchestre. En ce moment, avec eux, elle vit le « Boléro » que la danseuse Ida Rubinstein avait commandé à Ravel, musique singulière, répétitive et tellement intense. Le son enfle progressivement, jusqu’à exploser, tous les instruments maintenant ensemble, dans un bouquet final, mêlant aux notes les couleurs chaudes de ce théâtre à l’italienne.