mardi 19 avril 2011

Extrait du roman "Dans son regard, l'horizon vacillant du large", François Mossmann, Saint-Pargoire, Montpellier


         Je vérifie la date sur ma montre. Et curieusement, dans cette situation qui n’inspire pas spécialement l’élégance et la politesse aimable, il me vient à l’esprit que c’est en ce moment, vu le décalage horaire, que Marie joue en soliste au Théâtre de Béziers un concerto de Mozart.
          
 
          En effet, exactement à cet instant, Marie, dans sa loge, une loge comme autrefois avec de grosses ampoules encadrant une grande glace, se prépare, enfile prestement sa robe, une robe longue rouge garnie de volants sur le devant, très près du corps, en remonte avec des gestes précis la fermeture Eclair dans le dos, tire et lisse ses cheveux noirs et brillants en arrière, formant une longue queue de cheval, se regarde rapidement dans le miroir, et, d’un geste typiquement féminin, se pulvérise un peu de parfum sous chaque oreille, juste dans le creux du cou à la lisière des cheveux, avant de contrôler une dernière fois que tout va bien, se saisit de sa flûte traversière qu’elle a « chauffée » peu de temps avant et sort rapidement, rejoignant les coulisses.
          L’orchestre est en place. Marie rompt le silence de la salle en franchissant les plis épais du rideau de scène, éblouissante de jeunesse et de grâce, laissant échapper un petit soupir d’admiration au public des premiers rangs. Ensuite, c’est, avec cette manière très particulière qu’a la jeune femme de jouer, de beauté, d’élégance et de talent mêlés, la magie du « Concerto pour Flûte et Harpe en ut majeur K299 » de Mozart.


          Je n’entends déjà plus le bruit des vagues derrière moi. J’essaie de ne penser à rien et à me concentrer sur les quelques mètres que j’aperçois devant mes pieds. Pourtant, se bousculent dans ma tête la vision du cadavre de mon accompagnateur avec ses plaies horribles, celle du visage fatigué et meurtri de Simon, son regard angoissé, celle aussi des yeux très sombres de Marie. En même temps je revois mes collègues du journal, collègues depuis si peu de temps, me confiant cette mission sans imaginer une seconde, en tout cas je l’espère, la situation dans laquelle je me trouve « grâce à eux ».
          Je marche, marche, le sentier monte, descend, tourne, disparaît parfois, recouvert d’une végétation qui a pris le dessus, je traîne alors les pieds, faisant du bruit sur les cailloux, histoire de prévenir et d’effrayer un éventuel serpent venimeux qui aurait eu la malencontreuse idée de s’endormir justement sur mon trajet.
          D’abord, pour me rassurer et me sentir moins seule, je commence à réciter à haute voix le début du monologue d’Hamlet en anglais, mais je me heurte assez vite à un défaut de mémoire ; cela m’occupe pendant au moins deux kilomètres, parce que, chaque fois, je reprends du début en espérant me rappeler la suite. Après, je me mets à chanter, pour garder la cadence « Ce soir, j’ai rendez-vous avec Madeleine… » mais, là aussi, je me rends compte que je ne connais pas toutes les paroles. Je hurle presque « Elle est tellement jolie, elle est tellement tout ça, elle est toute ma vie… » sans penser une seconde qu’on pourrait m’entendre.
          Je m’habitue à la solitude dans cet espace inconnu, à mes propres peurs, j’avance, voilà !, c’est tout, j’avance.


Après le concerto de Mozart, Marie est allée se changer. Elle a quitté sa longue robe rouge de soliste pour s’habiller de noir, comme tous les autres musiciens de l’orchestre. En ce moment, avec eux, elle vit le « Boléro » que la danseuse Ida Rubinstein avait commandé à Ravel, musique singulière, répétitive et tellement intense. Le son enfle progressivement, jusqu’à exploser, tous les instruments maintenant ensemble, dans un bouquet final, mêlant aux notes les couleurs chaudes de ce théâtre à l’italienne.

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