mardi 19 avril 2011

Extraits du roman "Dans son regard, l'horizon vacillant du large", François Mossmann, Saint-Pargoire, Montpellier


            Lorsque cela avait été son tour, elle avait, en s’efforçant d’être naturelle, déposé son sac à main dans le bac en plastique bleu, franchi posément chacun des obstacles, croisant volontairement aucun regard. Ses affaires récupérées, elle s’était dirigée vers un siège libre entre deux femmes.
            Le vol pour la France était prévu dans deux heures qui lui paraîtraient longues. Pour tuer le temps, elle s’était levée lentement et dirigée vers la boutique de presse et de souvenirs. Sur les présentoirs, bien en vue, le seul quotidien local étalait en gros titres les exploits du gouvernement. Deux revues, une en allemand et l’autre en anglais, se concentraient exclusivement sur les mésaventures amoureuses de quelques stars en appâtant par des caractères énormes et des images légèrement floues le passager étranger désœuvré.
            Derrière le comptoir déserté quelques minutes par le marchand qui s’appliquait à disposer en vitrine des bijoux bon marché, elle avait remarqué par terre un tas encore ficelé de journaux étrangers ; ils dataient pourtant de l’avant-veille. En en lisant rapidement les titres principaux, elle s’était aperçue qu’on y parlait du pays qu’elle s’apprêtait à quitter et qu’un article évoquait la résistance déterminée bien que naissante d’une partie de la population. La jeune femme s’était approchée de l’homme qui refermait à présent la vitrine à clé et lui avait demandé si les journaux posés au sol étaient encore disponibles. Il l’avait regardée en fronçant les sourcils et en haussant les épaules : « Interdits à la vente ! ».

....
             Aussi est-ce avec un certain soulagement que je me dirige maintenant vers le grand escalier que j’emprunte d’une démarche assurée, ni trop vite, ni trop lentement, faisant rouler sous ma jupe un peu moulante, ce dont la nature m’avait dotée avec une certaine générosité, histoire d’imposer pendant quelques mètres à ceux qui ne manqueraient pas de me suivre du regard avec un peu trop de zèle une attention limitée qui s’atténuerait avec l’éloignement, me donnant tout loisir de rejoindre ensuite les occupants de la voiture grise.
            La portière arrière s’entrebâille, je grimpe dans le véhicule, une forte odeur de cigarette me fait tousser, je jette un coup d’œil circulaire, sièges et tissu qui tapisse les contre-portes d’un beige sale, trois hommes qui me regardent comme si je tombais du ciel, d’abord un grand silence, puis, celui qui est assis à côté du chauffeur laisse échapper sans fioritures qu’ils m’amènent rencontrer Harmam.
            Puis, plus un mot, tandis que la vieille Mercedes, bien que malmenée sur cette route cahoteuse qui monte, fait l’impossible pour justifier sa réputation de solidité. Les vitesses passent en craquant, pas toujours du premier coup. Dans l’habitacle, un mélange de fumée de tabac et de poussière qui s’entremêle en tourbillonnant et hésite à entrer ou à sortir par les fenêtres grandes ouvertes.
            Au gré des virages, j’aperçois tantôt au loin, derrière la petite ville d’Amishan, les dunes qui se dressent à perte de vue et juste après le paysage vers lequel nous roulons, parsemé d’oliviers, d’herbes jaunies et de murets en pierre sèche.
            Un dernier tournant un peu plus raide que les autres et, au bout du chemin une maison en ruine. La vieille Mercedes hoquète et s’immobilise. J’imagine que nous sommes arrivés à destination. En effet, nous quittons le véhicule, mais pour continuer à pied pendant au moins un kilomètre sur un chemin que n’apprécient pas mes chaussures à talon. Concentrée pour à la fois éviter le plus de cailloux possible et marcher à la même vitesse que les trois hommes, je lève parfois la tête pour tourner mon regard vers le panorama grandiose qui me rappelle mon enfance.
            Adossée à un énorme rocher, une cabane en piteux état derrière une étroite grille entrouverte ; sur l’injonction d’un des hommes, je la franchis en évitant les fils barbelés qui traînent sur le sol. De part et d’autre, les vestiges de constructions en bois, peut-être d’anciennes cages à poules ou des clapiers hors d’usage, portes ouvertes ou sorties de leurs gonds, quelques planches en mauvais état, des petites branches sèches disséminées un peu partout et une échelle posée debout à côté de ce qui ressemble à l’entrée des lieux.
            Après un coup de fil rapide, « Elle est ici ! », mes trois accompagnateurs me laissent plantée là et s’éloignent pour allumer une cigarette.

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