mardi 19 avril 2011

Extrait de "Nous nous reverrons, n'est-ce pas ?", roman de François Mossmann, Editions Le Manuscrit, Paris


        À l'intérieur de l'ambassade, il faisait une chaleur étouffante. La climatisation était certainement tombée en panne. Cela faisait au moins un quart d'heure que Dahliyan était sorti de la pièce pour tenter d'y remédier.
          Nahslima, à son tour, avait quitté le grand salon à la recherche d'un point d'eau. Tandis qu'elle avançait dans le corridor, elle avait entendu la voix du secrétaire d'ambassade à l'étage au-dessus. Deux fois de suite, elle l'avait entendu prononcer « Nahslima ».
          Intriguée, elle avait monté sans bruit l'escalier en bois ciré en faisant bien attention à ne pas faire craquer les marches. La porte d'un bureau était entrouverte ; elle avait aperçu, de dos, Dahliyan qui téléphonait.
          « Je ne sais pas où ils sont... Comment ?... Bien sûr... Je retiens Nahslima. Surtout, on ne doit pas les voir quand ils entreront dans l'ambassade ! Oui... Par la petite porte de derrière... Celle des livraisons... J'ai permis aux deux gardiens de rester chez eux, aujourd'hui... Oui... À vous de jouer ! »
          Nahslima était redescendue le plus rapidement possible.
          La jeune femme s'était efforcée de retrouver une attitude qui siérait avec la situation et en particulier avec l'atmosphère qui régnait juste avant qu'elle ne surprenne la conversation de Dahliyan. Elle pressentait qu'elle aurait du mal à cacher son émotion ; elle avait compris que l'évasion de la prison avait réussi, que son père, Assoram et Nohmis étaient en sécurité, pour l'instant, puisque même Dahliyan ne savait pas où ils se trouvaient actuellement.
          Il était redescendu tranquillement, était passé devant Nahslima en souriant : « Ils ne vont pas tarder à arriver. Ils ont réussi à sortir ton père de prison. Tout se passe comme prévu. Nous allons les attendre ici. »
          Comment parvenait-il à jouer aussi bien la comédie ? La jeune femme l'observait à la dérobée tandis qu'il lui tournait le dos pour se diriger vers la baie vitrée qui donnait sur le parc. Là, il s'était arrêté, les mains dans les poches. Il s'était mis à chantonner l'air du solo de la soprano du « Requiem allemand » de Brahms.
          – J'aime beaucoup ce passage du requiem de Brahms. Tu sais, j'ai beaucoup apprécié de chanter avec vous au Corum. Il n'y a pas si longtemps, je faisais partie, moi aussi, d'un grand chœur. Nous avions donné cette œuvre plusieurs fois. Alors, c'était l'occasion de me faire plaisir...
          – Cette salle est magnifique...
          – Je voulais surtout te connaître davantage, voir tes amis, Marie, Simon...
          Il était resté un moment encore dans cette position. Nahslima regardait sa silhouette qui se détachait à contre-jour sur un ciel serein et des palmiers immobiles.
          Il s'était soudain retourné en la regardant droit dans les yeux.
          – Simon... C'est sérieux ?
          – ...
          – Je ne te comprends pas. Même loin d'ici, tu es de ce pays.  Tu sais ce que cela veut dire « être de ce pays » ? Comment as-tu pu ? Tu as dû décevoir considérablement ton père.
          – Vous savez très bien que j'ai été très honnête avec lui, comme je l'ai été avec Assoram... Je l'ai payée cher, ma liberté, pourtant.
          – Mais, pourquoi tu me parles de liberté ? Tu ressembles vraiment à ton père. Il n'a que ce mot à la bouche, lui aussi !
          Au rez-de-chaussée, on entendait des hommes qui parlaient, très fort. Puis, des pas précipités dans les escaliers. Et, bientôt, la porte s'était ouverte brutalement. Quatre individus, armés de longs couteaux, avaient fait irruption dans le salon, image violente, barbare, contraste saisissant avec la délicatesse ouatée du lieu.
          Nahslima avait instinctivement fait un bond en arrière. Dahliyan l'avait d'abord saisie par le bras gauche puis, en la faisant pivoter, l'avait maintenue fermement devant lui. Les quatre hommes s'étaient approchés, ensemble, faisant face à la jeune femme.
          Le moins âgé, presque un adolescent, avait dévisagé Nahslima avec un rictus concupiscent, soulevant même avec son arme le bas de sa robe. Le plus large d'épaules avait, en interrogeant du regard Dahliyan, passé son pouce sur son cou dans un mouvement horizontal qui en disait long sur ses intentions expéditives. Les deux autres attendaient les ordres, de toutes façons prêts, quelle que soit la décision prise.
          – Voilà, Nahslima, le moment est venu de nous quitter définitivement. Je te laisse à la disposition de ces hommes. Ils sauront, j'imagine, à la fois te montrer qu'ils sont impatients d'apprécier ta grande beauté... Je crains qu'ils ne soient un peu rustres... et... après, te faire regretter d'avoir enfreint la loi. Tu as peut-être quelque chose à dire ?
          – Ne faites pas de mal à mon père... ni à Nohmis.
          – Pour ton père, je veux bien lui laisser la vie sauve, mais, il faut me comprendre, il n'est pas question de ne pas le remettre en prison, jusqu'à... la fin.
          – Mais, pourquoi ? À son âge, dans son état ?
          – Ne revenons pas là-dessus ! Quant à Nohmis, je t'interdis de prononcer son nom devant moi !
          – C'est mon ami d'enfance.
          Dahliyan avait fait un geste de la tête. Le plus large d'épaules des quatre s'était approché de Nahslima, l'avait saisie par les cheveux, la traînant vers la sortie, bousculant en passant un guéridon sur lequel se trouvait un gros vase qui s'était fracassé sur le sol, et au fur et à mesure que les cris de douleur et de peur de la jeune femme s'amplifiaient, les trois autres ricanaient plus fort, surtout le moins âgé.

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